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 Ụmụada : Notre sororité en action

Nneka est issue d’une longue lignée de fières femmes Igbo. Elle raconte souvent que son père disait qu’elle et ses sœurs étaient les « filles d’Ève l’originelle », qui a transmis son ADN mitochondrial d’une génération de femmes à l’autre il y a plus de 200 000 ans. Comme Nneka, elle était Noire. Elles sont toutes deux africaines, et ce lien ininterrompu a été une source d’ancrage et de courage sur laquelle Nneka s’appuie chaque jour dans son travail. Elle y voit ses liens avec les Ụmụada de son peuple, les enfants (Ụmụ) de la première fille (ada), c’est-à-dire les femmes et les membres de sa famille.

Uzoamaka et Onyeagba : Nos grands-mères

Nneka se souvient d’avoir fait un rêve récurrent tout au long de sa dernière grossesse, où elle était enceinte de sa fille Christiana. Dans chaque rêve, un groupe intergénérationnel de femmes se réunissait, toujours en grande conversation, et toujours sous la conduite d’une figure centrale. Chacune d’entre elles lui semblait familière, sans qu’elle puisse toutes les reconnaître. Son père, venu l’aider après la naissance de sa fille, lui dit que la matriarche qu’elle décrivait était sa propre grand-mère et qu’elle symbolise l’importance d’être entourée de l’amour et du soutien des femmes noires. « J’ai la chance d’avoir connu mes deux grands-mères, Uzoamaka (Martha) et Onyeagba, deux femmes incroyablement belles, fortes, résistantes et sages, dont l’esprit d’entreprise, le travail acharné, l’ouverture d’esprit et la bonne humeur ont été transmis de génération en génération et se retrouvent chez tant d’autres femmes Igbo, n’importe où elles se trouvent ».

Les grand-mères de Nneka lui montrèrent à être fière de ses ancêtres en adoptant les traditions et les coutumes du peuple Onitsha, originaire des terres situées sur la rive orientale du fleuve Niger, dans l’Igboland. Ses grand-mères lui ont inculqué le sentiment d’appartenance, de faire partie de quelque chose de plus grand que soi. « Je n’ai jamais eu à me poser de questions sur ma place dans le monde parce que je savais que j’étais à ma place… Je sais qui je suis grâce à elles », dit-elle avec fierté. « Elles font partie de ma mélanine ».

Nos grands-mères sont des symboles de la féminité noire et leur héritage se perpétue en nous et en nos enfants. Pour Nneka, ce fort sentiment d’identité et de lien avec sa culture a déjà été transmis à la génération suivante. Elle a récemment célébré la naissance tant attendue de son premier petit-fils, qu’elle a appelé Azike. Ce nom signifie que ses ancêtres, ceux qui sont derrière lui, seront sa force. Âgé de quelques mois seulement, elle lui parle en igbo et prévoit de lui transmettre l’importance de l’identité et du lien avec son peuple.

 

 

Okwuegbunam : Nos mères

Nneka n’avait que 12 ans lorsque sa mère est décédée. Sa mère, Okwuegbunam (Christiana), lui a appris que l’attribution d’un nom était un élément important de leur identité culturelle, qui contribue à préserver et à transmettre les traditions culturelles, les valeurs et les croyances d’une génération à l’autre. En rétrospective, l’un des souvenirs les plus mémorables de Nneka concernant sa mère est celui d’un acte de résistance important. Catholique convaincue et afro-centriste tout aussi convaincue, Mme Okwuegbunam a refusé de se plier à la volonté coloniale d’abandonner ses noms culturels au profit de noms chrétiens/européens lorsqu’elle a inscrit ses enfants dans des écoles au Royaume-Uni, simplement parce que c’était plus facile à prononcer pour les autres.

« Ma mère avait l’habitude de dire que s’ils peuvent prononcer ‘Tchaïkovski’[chy-KAWF-skee], ils peuvent prononcer “Nneka” [NEH-ka]. C’est moi qui t’ai donné ce nom. Il a un sens ». En langue Igbo, Nneka explique que Nne signifie « mère » et ka signifie « la plus grande ». La traduction littérale serait « ma mère est suprême » et honore le rôle de la maternité dans la lignée Igbo. Nneka déclare : « Ma mère avait l’habitude de dire qu’elle était notre plus beau cadeau. Et maintenant, je dis la même chose à mes enfants : je suis le plus beau des cadeaux pour vous ». Pour honorer sa mère, Nneka corrige toujours les personnes qui ont du mal à prononcer son nom. « J’adore quand les gens prononcent mal mon nom, mais insistent pour qu’ils le disent correctement. J’ai tout intérêt à les corriger, car il est important que les gens comprennent ce que ce nom signifie pour moi et la signification de mon nom en tant que femme igbo », dit-elle.

Savoir qui l’on est et d’où l’on vient est un acte de résistance que Nneka a appris de sa mère dès son plus jeune âge. Face à l’adversité, se souvenir de son nom, Nneka, lui donne du pouvoir et l’aide à surmonter les difficultés.

 

Ekwi et Ogua : Nos sœurs

Suite à la mort de sa mère, Nneka a été élevée dans les bras de ses deux sœurs aînées, Ekwi et Ogua. Les jumelles n’avaient que cinq ans de plus que Nneka, mais elles ont assumé le rôle de mère et la responsabilité de s’occuper d’elle, de la soutenir, de la nourrir et de l’élever. Enfant, Nneka les considérait comme des modèles. Bien qu’Ekwi et Ogua soient jumelles, elles ont des personnalités très différentes qui s’équilibrent et se complètent. Nneka décrit ses sœurs comme « les meilleures personnes pour vous soutenir en bataille ou lors d’un brunch », se souvenant en particulier de la façon dont elles l’ont aidée à garder le moral lors de son divorce acrimonieux. Ogua est la plus « épicée » qui lui a appris à porter du rouge à lèvres rouge vif et à ne jamais fuir un « bon combat », c’est-à-dire un combat pour la justice et pour protéger les autres des personnes qui les intimident. Sa devise est toujours : « Ne faites pas de prisonniers, car vous devrez les nourrir ! ». En revanche, Ekwi, aujourd’hui décédée, n’aimait pas la bagarre et préférait porter du rouge à lèvres violet. Malgré leur jeunesse, Ekwi et Ogua étaient toutes deux plus sages que leur âge, prodiguant de sages conseils et offrant toujours à leur jeune sœur un endroit où se poser en douceur.

Peu après la naissance de Nnamdi (Alexander), son deuxième enfant, Nneka et le père de ses enfants ont quitté l’Angleterre pour s’installer au Canada, laissant derrière eux le reste de sa famille. « Tout le monde s’inquiétait de me voir seule avec trois enfants et cet homme. Ils avaient peur qu’il me fasse du mal », se souvient-elle. Lorsque son ex-mari la renvoie de force de l’entreprise qu’ils avaient créée ensemble, Nneka se souvient d’avoir appelé Ogua pour lui demander conseil. « Elle m’a dit de rassembler les documents importants qui indiquaient que j’étais propriétaire de l’entreprise, de mettre du rouge à lèvres rouge vif, de sourire et de ne pas le laisser te voir pleurer ». Plus tard, lors du procès de son ex-mari, Nneka se souvient s’être sentie au plus bas et avoir porté son rouge à lèvres rouge vif en signe de courage et de symbole de résistance. « Je suis arrivée avec mon rouge à lèvres rouge vif… J’en porte toujours depuis l’âge de 18 ans à cause de ma sœur, Ogua. C’est une peinture de guerre. Aujourd’hui, je le porte en guise de protestation. Chaque fois que je prends la parole, je porte toujours du rouge à lèvres rouge vif et je commence en disant “Je suis une survivante” ».

Alero & Christiana (Uzoamaka) : Nos filles

En revenant sur son passé, Nneka déclare ceci : « Je me souviens du moment où j’ai pensé que ma vie allait s’arrêter. J’ai fait la promesse que si je survivais, j’userais chaque jour de ma vie pour faire changer les choses. C’est donc ce que j’ai fait. Mes enfants m’ont sauvé la vie, au sens propre comme au sens figuré, en particulier ma fille aînée, Alero. Je leur dois tout, alors je fais tout ce que je peux pour rendre le monde meilleur et plus sûr pour elles ». En 2008, Nneka a fondé le Women’s Centre for Social Justice, une organisation à but non lucratif créée par, pour et à propos des survivant·e·s de la violence genrée. Aujourd’hui, il est mieux connu sous le nom de WomenatthecentrE et reste le seul organisme de défense des droits de ce genre au Canada. À titre de directrice générale, Nneka poursuit un seul objectif : amplifier les voix et les expériences vécues par les survivant·e·s afin d’éradiquer la violence genrée et de guérir les communautés.

« Lorsque j’ai mis fin à ma relation en 2003, j’avais trois enfants et j’ai essayé de naviguer à travers les différents systèmes qui étaient censés nous aider. Mais, j’ai constaté qu’il était difficile d’obtenir justice avec les systèmes en place. Si c’était difficile pour moi, je ne pouvais qu’imaginer à quel point c’était pire pour les survivant·e·s qui n’avaient pas accès aux ressources dont je disposais. […] J’étais indignée de la manière dont le système ne parvenait pas à soutenir les femmes et leurs enfants ».

En tant que survivante, Nneka est souvent invitée à partager son expérience pour aider les autres, mais en a eu assez de se trouver dans des endroits où personne ne lui ressemble. Étant souvent la seule femme noire dans la pièce, la conviction de Nneka découle de l’échec actuel et continu des mouvements de justice sociale à faire de la place aux survivant·e·s, en particulier aux survivant·e·s noir·e·s. 

« Je me suis rendu compte qu’en tant que survivant·e·s, nous sommes des expert·e·s parce que nous avons survécu, et pourtant nous n’avons pas été inclus·e·s dans les espaces où les politiques sont élaborées et les programmes développés. Les survivant·e·s étaient considéré·e·s comme des personnes brisé·e·s, mais je savais que nous étions des femmes puissantes. J’ai réalisé que j’étais là parce que j’avais des privilèges. J’avais donc la responsabilité d’utiliser ce privilège, car mes sœurs ne sont pas là. Donc, si je ne parle pas, personne ne le fera. Il y a un travail important à faire et on ne peut pas rester en retrait, surtout lorsqu’il s’agit de personnes qui ont la même couleur de peau que nous ».

 

Ụmụada & Amourgynoir : Notre sororité en action

Aujourd’hui, Nneka s’identifie fièrement comme une féministe noire intersectionnelle, abolitionniste et anti-carcérale, et s’engage plus que jamais en faveur des survivant·e·s noir·e·s de violence genrée. La dernière initiative de WomenatthecentrE, Advancing Gender Equity for Black Women, Girls, and Gender Diverse People in Canada : Vérité et Transformation: Promouvoir l’équité des genres pour les femmes, les filles, les personnes de diverses identités de genres, les personnes trans noir·e·s au Canada) se déploie en une stratégie quinquennale visant à mettre en place un cadre d’équité. Nneka l’appelle simplement le Code Amourgynoir, soit un mouvement de justice sociale visant à mettre fin à la violence anti-Noir·e·s. Sa vision est de créer des espaces sûrs pour dire la vérité. Les survivant·e·s qui sont des femmes, les filles, des personnes de la diversité de genres et des personnes trans noir·e·s peuvent utiliser leurs voix pour contrer le silence et l’effacement de leurs expériences vécues. Nneka et son équipe lancent une recherche nationale de référence qui porte sur les Noir·e·s survivant·e·s qui sont des femmes, des filles, des personnes de diverses identités de genre et des personnes trans.

« Ce travail ressemble à l’évolution de ces rêves récurrents que je faisais lorsque j’étais enceinte. Je vois cette brillante communauté intergénérationnelle de survivant·e·s noir·e·s se réunir pour concevoir un monde nouveau où les générations actuelles et futures d’enfants noir·e·s naissent, sont vu·e·s, valorisé·e·s et chéri·e·s, reconnaissant leur beauté, car elles et ils sont incroyables. C’est pour nous. Alors que nous sommes souvent à l’avant-garde des mouvements de justice sociale, le mouvement contre la violence est centré sur les femmes blanches, tandis que le mouvement contre le racisme anti-Noir·e·s est centré sur les hommes noirs, ce qui conduit au silence de nos voix et à l’effacement de nos expériences vécues. Nous faisons changer les choses et nous le faisons avec amour, gentillesse et compassion ».

Pour Nneka, il est important que la recherche vienne perturber la construction eurocentrique de la connaissance et qu’elle valorise les modes de connaissance et d’existence des Africains autochtones. « Je sais à quoi ressemblent les femmes noires puissantes. Elles m’ont portée. Elles m’ont nourrie. Elles m’ont élevée et je n’ai jamais douté que je deviendrais moi aussi une femme noire puissante, parce que c’est la souche dont je suis issue ».

Attendrie, elle conclut en disant ceci : « Je fais ce travail non pas dans la peur ou l’anxiété, mais dans l’amour et la gratitude – pour toutes les belles, brillantes et audacieuses femmes noires qui m’ont précédée, et pour toutes celles qui sont ici aujourd’hui et qui suivront ».

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